Quand les mots vinrent en français dans la tête de La Bête…

Après Pei-Chun SHIH (l’auteure) et Géraldine ALIBEU (l’illustratrice), Chun-Liang YEH répond à trois questions sur La Bête. 

YEHChun-Liang.jpgRENCONTRE avec Chun-Liang YEH, traducteur du texte et éditeur du livre. 

« Avec le texte de Pei-Chun SHIH, le plaisir de l’écriture en français, à la fois fidèle et nouvelle par rapport à la composition taiwanaise d’origine a été réellement stimulant. »

 

Comment s’est faite votre découverte du texte de Pei-Chun SHIH (auteure de La Bête) et qu’est-ce qui vous a convaincu de le rapporter en France, de le traduire et de l’éditer ?

On peut aussi bien dire que c’est le texte de Pei-Chun SHIH qui nous a trouvés, par le biais de son éditrice taïwanaise Mme Yu-Jin CHEN. En effet, celle-ci a découvert les éditions HongFei Cultures lors du salon du livre de Taipei en janvier 2010, et leur a consacré un article dans son blog dédié à l’actualité de la littérature jeunesse à Taïwan. Lors de notre première rencontre, Mme CHEN m’a offert deux ouvrages dont La Bête et les petits poissons qui se ressemblent beaucoup dans sa version taiwanaise.

Pei-Chun SHIH

Je ne me souviens pas qu’elle m’ait suggéré d’envisager de traduire et éditer le texte de Pei-Chun SHIH en français. Ce qui se comprend aisément car notre catalogue était composé d’albums uniquement.

Ma première lecture des neuf épisodes de l’ouvrage m’a beaucoup plu, parce que je partage avec l’auteure cet amour d’expressions précises et novatrices au service de la création de situations riches en potentiel, en l’occurrence la rencontre de la Bête avec des habitants du monde qui lui posent sans cesse des questions. Mais cela ne m’a pas effleuré l’esprit de le regarder comme un projet possible pour HongFei Cultures.

DSC03313.JPGComme c’est souvent le cas, c’est en discutant avec mon associé Loïc JACOB à mon retour en France et avec l’envie de partager avec le jeune public des histoires qui sortent du commun, que nous avons mieux perçu la place qu’il pourrait prendre dans notre catalogue qui invite les jeunes lecteurs à s’ouvrir au monde. Lorsque l’illustratrice Géraldine Alibeu a répondu positivement à notre consultation, nous savions que la Bête ferait son bonhomme de chemin jusqu’en France (où elle continuerait de s’attirer des tas de questions).

Comme l’indique son titre, le texte du livre La Bête et les petits poissons qui se ressemblent beaucoup est étonnant à bien des égards. Comme traducteur, comment avez-vous appréhendé et rendu à ce  texte proposé pour la première fois en français, son caractère peu commun ?

Comme traducteur, je dirai volontiers qu’un texte est difficile à traduire lorsqu’il a été mal rédigé dans sa langue d’origine. Ce qui n’est pas le cas du texte de La Bête. Au contraire.

Le texte de Pei-Chun SHIH est parfaitement accessible et attirant pour les enfants, et il s’adresse tout aussi bien aux adultes attachés à la beauté et à la précision de l’expression écrite. C’est là l’un des signes par lesquels nous reconnaissons un bon texte. De surcroît, l’auteure a volontairement créé quelques passages où plusieurs interprétations sont possibles par tout un chacun. Comme ses expressions sont remarquablement maîtrisées en chinois, je n’ai pas eu tellement de difficulté à les restituer en langue française.

J’ai la chance de pratiquer l’écriture aussi bien comme auteur que comme traducteur. Cette expérience m’a permis de percevoir le lien intime entre le travail d’un traducteur et celui d’un auteur. Pendant que l’auteur, en exprimant une vérité poétique, « traduit » sa vision du monde en un texte original, le traducteur doit disposer d’une même force de proposition, mise au service de la vision de l’auteur qu’il traduit. Avec le texte de Pei-Chun SHIH, le plaisir de cette écriture en français, à la fois fidèle et nouvelle par rapport à la composition d’origine a été réellement stimulant.

 

Les éditions HongFei Cultures dont vous êtes l’un des créateurs et éditeurs ont réservé un format singulier à ce titre publié hors collection et illustré par Géraldine ALIBEU. Pouvez-vous nous éclairer sur ce choix ?

Le texte de La Bête est évocateur de situations improbables mais concrètes ; son organisation en épisodes lui procure les qualités de cohérence et de souplesse. C’est à partir de ce constat que nous avons imaginé un format de « texte illustré » pour lui, à la différence du format « album » de nos publications précédentes.

 

Pei-Chun SHIH, Géraldine AlibeuIl s’ensuit que le rôle des images, leur nombre et leur place dans cet ouvrage ont fait l’objet d’une réflexion partagée entre éditeur, illustratrice et graphiste. Nous sommes arrivés assez rapidement à une vision commune, avec une image en double-page consacrée à chacun des quatre épisodes, plus des cabochons non moins essentiels pour l’accompagnement du texte.

 

A notre sens et avec du recul, il y a deux raisons au bon fonctionnement de ce cadre de création. Premièrement, le texte de Pei-Chun SHIH, précis dans l’expression des émotions, est peu contraignant pour la représentation physique des protagonistes. L’illustratrice a pu ainsi rapidement repérer et exploiter l’espace de création qui lui était offert. Deuxièmement, comme illustratrice expérimentée et créative, Géraldine ALIBEU a parfaitement joué le jeu en offrant au lecteur ce qui dépasse le pouvoir des mots, c’est-à-dire un univers visuel qui interpelle. Elle a aussi veillé à ne pas donner plus que nécessaire, invitant ainsi le lecteur à accomplir une lecture active – une intention déjà présente chez l’auteure. 

Pei-Chun SHIH, Géraldine ALIBEU 

(FIN)

 

Aline PAILLER, Chun-Liang YEHà noter : Aline PAILLER reçoit en interview sur FRANCE CULTURE Chun-Liang YEH, traducteur et éditeur de La Bête, dans son émission Jusqu’à la lune et retour, samedi 14 mai (21h30-22h).