Quelles langues parlent les livres ?

Les éditions HongFei sont invitées par l’université d’été de l’association Dulala à participer à une table-ronde le 7 juillet 2022, sur les problématiques de frontières linguistiques et culturelles dans les livres jeunesse. À cette occasion, nous mettons à jour quelques réflexions qui ont accompagné notre production éditoriale depuis la création de la maison en 2007.

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Langue et littérature : la maison HongFei publie des textes d’auteur (donc de la littérature) avec la capacité d’accueillir dans son catalogue ceux venant du monde chinois (donc de la langue chinoise).

Chez HongFei, nous travaillons d’abord à éditer de la littérature pour la jeunesse ; le parcours personnel des éditeurs nous a permis d’enrichir cette proposition en puisant dans des sources relativement peu accessibles à la plus grande partie des éditeurs français, c’est-à-dire les créations ou le patrimoine du monde chinois (rappelons toutefois que les titres sans lien avec la culture chinoise représentent la moitié du catalogue HongFei).

Même exprimées et lues en français, ces œuvres gardent la trace d’une langue et d’une culture à l’écart de nos propres habitudes en France. Les lecteurs, à travers une expérience sensorielle de rythme, d’association inattendue de mots, etc., prennent conscience de la possibilité d’autres existences, et de la pluralité des mondes. C’est une expérience libératrice que nous souhaitons pour nos lecteurs.

Dans plusieurs albums HongFei, nous avons ajouté le texte original chinois à la fin de l’ouvrage. C’est le cas de deux poèmes classiques Un Bon Fermier (11e siècle, de Su Dongpo) et L’Invité arrive (8e siècle, de Du Fu) illustrés par Sara, ou encore de La Ballade de Mulan (4e siècle, d’auteur inconnu) illustré par Clémence Pollet. L’écriture chinoise a le grand « avantage » d’être graphique : un jeune lecteur non initié peut déjà regarder avec plaisir et s’amuser à reconnaître des caractères qui reviennent plusieurs fois dans le texte. Par ailleurs, la langue chinoise se distingue aussi par son caractère monosyllabique : un signe correspond à un son à prononcer.

Au-delà de l’aspect linguistique, c’est l’environnement culturel qui a vu naître ces textes que nous veillons à ne pas « perdre » au cours de leur migration vers la langue française, parfois à plusieurs siècles d’écriture d’intervalle. Un bon fermier, en décrivant la réalisation d’un labeur en phase avec la nature, révèle la valeur d’une connaissance pratique. L’invité arrive, quant à lui, suggère comment l’hospitalité transforme l’existence de celui ou celle qui l’offre. Enfin, La Ballade de Mulan se lit comme le portrait d’une personne qui se réalise sans se laisser entraver par les conventions sociales, notamment celle concernant le genre. La modernité de ces textes est d’autant plus étonnante qu’ils sont vieux de plus de dix siècles.

En résumé, comme éditeur nous avons en charge d’apporter au lecteur une création qu’il doit pouvoir s’approprier. Pour les jeunes esprits qui se frottent au monde vaste, l’enjeu est moins d’apprendre à (re)connaître la culture chinoise que de s’intéresser à la manière dont certains sujets et propos sont singulièrement exprimés, et à la qualité de cette expression. Nous sommes persuadés que cette « fréquentation » d’un monde riche de sens pluriels donne une meilleure chance aux enfants lecteurs d’aujourd’hui d’être acteurs demain lorsqu’ils seront adultes.

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Image extraite du Rocher Bleu (HongFei 2022) de Jimmy Liao, traduit en français par Chun-Liang Yeh.