Littérature jeunesse chinoise : formation à Brest [2/2]

—— problématiques —————

Comment apprécier et évaluer l’apport singulier de ces créateurs, pour nos publics en France, sans s’en remettre à l’unique reconnaissance des prix étrangers dont on ignore les critères de sélection, ni aux seuls critères que nous connaissons, c’est-à-dire les nôtres ? Je me propose de déblayer le terrain à l’aide de deux problématiques liées à la médiation :

patrimoine vs. création : lorsque la littérature jeunesse est étroitement associée à la transmission d’un héritage, on peut être amené à surexposer les œuvres qui semblent présenter plus visiblement une identité ou une « authenticité » culturelle, au détriment de celles qui font acte d’actualisation de cet héritage, qui n’en présentent pas un visage conforme à notre idée préconçue ou qui s’en tiennent délibérément à l’écart.

=> Lectures : La Ballade de Mulan

traduction vs. adaptation : les albums illustrés dits « traduits » de l’étranger (notamment des pays non-européens) sont en fait souvent le fruit d’une adaptation à partir d’un synopsis en anglais de l’original, parfois sans égard pour l’auteur et ses choix. Il faut sans doute interroger ce refus de trouver chez ce dernier assez de talent ou d’habileté pour le laisser s’exprimer auprès des enfants d’ici dans sa « langue », cela fut-il troublant. Ce refus se manifeste parfois paradoxalement dans la déconsidération du travail de véritables traducteurs littéraires pour enfants, lorsque certains chroniqueurs s’autorisent à « (d)évaluer » la qualité d’une traduction (depuis une langue étrangère dont ils ne connaissent pas un mot) au motif qu’elle ne satisferait pas à leurs attentes.

=> Lectures : Croc croc la carotte

——- expérience interculturelle des éd. HongFei —————-

Une fois ces biais écartés, nous pouvons mieux accéder aux œuvres d’auteurs chinois. C’est ce que les éditions HongFei tentent de favoriser depuis treize ans.

Le catalogue HongFei est essentiellement composé d’albums illustrés pour la jeunesse créés en France. Un petit nombre de titres est annoncé comme documentaire, ne s’adressant pas toujours spécifiquement à un lectorat jeunesse, notamment à travers la catégorie du carnet de voyage. Le propos de la maison s’organise autour de la triple thématique du voyage, de l’intérêt pour l’inconnu et de la relation à autrui. Dans tous les cas, l’« autre » ne se dévisage pas comme un objet de curiosité à la découverte duquel on part, mais s’envisage comme un sujet doué d’émotion, de pensée, d’un regard sur le monde.

La maison d’édition se définit comme engagée : par ses choix, l’éditeur veille à l’implication possible des lecteurs en l’encourageant à faire l’expérience de l’altérité. Cette démarche, à la différence du militantisme qui met à nu les maux de la société qu’il combat (sexisme, racisme, stéréotype, discrimination, etc.), entend produire un terreau où les racines du mal (rapport de domination et ses corollaires d’exclusion, d’invisibilisation, d’usurpation, etc.) ne sauraient trouver prise. 

Dès lors que distance est prise avec le mantra de « connaître l’autre », on peut commencer à le fréquenter et accepter de se transformer également grâce à cette fréquentation. Le véritable enjeu d’une transmission comprise comme « un cheminement à deux, vers un avenir ouvert » se joue précisément là.

=> Lectures : Réunis, La Graine du petit moine

Dans la mesure où la médiation ne se fait pas à sens unique, le regard et l’implication du public français contribuent à enrichir la vie des œuvres d’auteurs chinois. Nous avons ainsi collaboré, en mai 2019, avec l’Institut Confucius pour inviter ZHU Chengliang à faire une tournée en France, où plusieurs personnalités importantes en littérature jeunesse (Nathalie Beau, Cécile Boulaire, Sophie Van der Linden) ont pu entamer un dialogue avec lui. Puisse-t-il en appeler d’autres. Une interview très fournie a également été publiée à cette occasion dans la revue des Arts dessinés (n°9 janv.-mars 2020).    

Quelques références : cliquer ici