Si le destin a un visage

image de Pascale Moteki extraite de L’Amie en bois d’érable

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Tomoko, petite fille sensible et curieuse, reçoit un cadeau de sa tante : une poupée kokeshi en bois d’érable. Elle l’adore et en fait son amie pour chaque moment de sa vie. Mais un matin près d’un marché, lorsqu’elle court pour s’abriter d’un orage, elle la perd. Sa tante puis, à l’école, le maître potier console l’enfant attristée. « Tu sais, les kokeshi, comme les céramiques, vivent parfois bien des histoires, passent de main en main et, à leur façon, relient les humains. »

Quelques années plus tard, Tomoko devenue céramiste livre une commande dans une ville. Elle découvre stupéfaite son amie kokeshi dans la vitrine d’une pâtisserie. Le pâtissier lui explique que sa défunte épouse l’avait trouvée dans la rue et, depuis, en prenait soin. Il l’avait installée là en souvenir. Émue, Tokomo fit un clin d’œil à son amie en bois d’érable et sentit son cœur rayonner de joie.

La relation à l’autre, l’un des trois thèmes récurrents dans les publications de HongFei, est un apprentissage au long cours. Dans l’histoire de Tomoko, l’initiation de la petite fille à la bienveillance est marquée par un drame, celui d’être séparée de l’objet de son affection. Ses aînés (la tante et le maître potier) ont compris avant elle que la bienveillance est avant tout une intention en circulation. Dans une société qui sait la pratiquer en son sein, chacun peut donner et recevoir en confiance (cf. le poste sur Croc croc la carotte).

De Tomoko à l’épouse du pâtissier, la kokeshi a changé de main sans que les deux protagonistes se connaissent, sans même qu’elles aient voulu ce « transfert ». Cette situation nous fait penser, à un certain degré, à la douleur ressentie quand la mort nous prive d’un être aimé, ou quand un accident nous tombe dessus. Les psychologues nous aident à mieux « comprendre » le processus du deuil et de l’acceptation de ce que nous n’avons pas choisi. Mais, dans notre vie de tous les jours, c’est peut-être tout simplement l’apprentissage d’accueillir ce qui advient qui nous fait rayonner de sérénité et nous fortifie, sans attendre qu’un malheur nous frappe ?

Pendant la relecture de la maquette, je me suis attardé longuement sur la page de la défunte épouse qui disait que « si la vie l’avait mise sur son chemin, c’est qu’elle devait en prendre soin. » Cette philosophie est encore collectivement activée dans les sociétés orientales, tandis qu’en Occident elle est associée à des traditions spirituelles renvoyées à la sphère privée de chacun. Je suis ému de lire ce récit sous la plume de Delphine Roux qui a su dire, avec élégance et simplicité, ce que nous vivons habituellement et intensément à l’autre bout de la planète.

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Pascale Moteki, quant à elle, l’illustre avec la délicatesse et l’acuité d’un reporter-photographe, dans les contrées des sentiments. Dans la maison de thé, Tomoko profite d’un moment savoureux avec sa maman sans savoir que sa kokeshi est déjà perdue. La dame en kimono qui les sert, souriante, passe juste devant. Si le destin a un visage, ce pourrait être celui-là.

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