L’album jeunesse entre patrimoine et renouveau : Salon du livre jeunesse Erdre & Gesvres 2020

Le salon du livre jeunesse en Erdre & Gesvres (Sucé-sur-Erdre), prévu du 2 au 5 avril 2020, est annulé à cause de la crise sanitaire. Nous l’apprenons avec regret et remercions l’équipe de la communauté de communes qui y a travaillé avec tant d’enthousiasme et d’efficacité.

Dans le cadre de la préparation à la journée professionnelle, j’ai eu un échange avec Christelle Capo-Chichi, modératrice de la table-ronde sur le thème de l’album jeunesse, entre patrimoine et renouveau. En attendant des jours meilleurs pour se retrouver en vrai, je publie ici l’amorce de réflexion sur les questions au cœur de notre métier d’éditeur et qui auraient pu être abordées pendant la rencontre.

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1/ l’album, genre inventif : de nombreux albums français sont récompensés à la Foire de Bologne. Est-ce significatif d’un particularisme ?

Vu de Chine et de Taiwan, l’éventail des sujets abordés par les albums français est large, tout comme les expressions qui explorent les terrains inconnus. Cela est possible du fait d’un tissu très bien constitué de médiation, et de formations de qualité pour les créateurs, qui n’existent pas dans tous les pays.

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2/ La pression de productivité empêche-t-elle de mener des politiques de fond ? Comment l’album peut-il trouver son public ?

En termes de productivité, HongFei oeuvre à contre-courant de la surproduction. L’enjeu est, avec seulement dix titres par an, de trouver l’équilibre économique (de bons titres qui se vendent, qui n’intimident pas les lecteurs) et de mener une politique éditoriale intelligible (des titres bien articulés à notre catalogue). Nous sommes clairs sur les arguments de chaque proposition, les médiateurs peuvent ne pas aimer tous les titres HongFei mais nous faisons en sorte qu’ils ne trouvent pas de titres dépourvus de raison d’être. Trouver son public, cela signifie pour nous soigner la marque HongFei par cette exigence, sur chaque titre et sur le catalogue.

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3/ La créativité déployée à travers une littérature jeunesse singulière de qualité devient-elle une source d’inspiration pour le spectacle vivant, le cinéma, l’animation ?

Nos albums ne sont pas des livres médicaments. Ils ont souvent plusieurs niveaux de lectures possibles, selon l’âge et l’expérience des lecteurs impliqués. Cette caractéristique fait qu’ils sont souvent naturellement source d’inspiration pour d’autres formes de création (les adultes peuvent s’en emparer pour développer une création qui est la leur).

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4/ Quelle littérature jeunesse devient patrimoniale, et comment elle se diffuse ? 

Nous avons une idée de l’apport aux lecteurs de nos albums dans un contexte culturel.  Nos moyens limités nous obligent à donner priorité aux projets dont l’apport serait unique (difficilement réalisable par d’autres éditeurs). Mais il en faut plus pour qu’un livre rejoigne le rang des classiques : c’est la réception des lecteurs, avec leur goût et leur discernement. On doit aussi laisser le temps faire son travail. Si au bout des années un livre n’est toujours pas dépassé, il devient un classique.

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5/ Entre héritage et culture de masse, quelle stratégie pour l’album jeunesse d’exister ?

Nous ne mettons pas l’héritage sur un piédestal. Nous nous autorisons à jouer avec, la démarche n’est pas démagogue mais féconde. En France on admet facilement qu’un créateur « revisite » les classiques comme le Petit Chaperon Rouge, mais quand il s’agit des classiques des autres cultures, chinoise par exemple, on adopte parfois une attitude inverse, exigeant de l’auteur chinois qu’il soit un simple « passeur » transparent, voire anonyme, au nom d’authenticité.  Or, aucun auteur véritable n’agit comme un passeur neutre et passif. Il exprime son point de vue qui enrichit celui des lecteurs.

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6/ Comme tous les livres, la durée de vie de l’album est courte : Comment dépasser cette condition de l’œuvre ?

Malgré tous les soins qu’on lui porte, un livre n’est pas immortel, il s’éteint à un moment donné. C’est nécessaire, sinon les nouveaux venus, les bons, ne trouveraient pas de place dans les rayons des librairies et bibliothèques. Face à cela nous cultivons un certain détachement. L’important c’est ce qu’un livre fait chez le lecteur qui le rencontre. Le livre peut disparaître mais l’étincelle qu’il fait naître chez un lecteur vit aussi longtemps que lui, qui crée à son tour et entretient la flamme à sa façon. Un livre gagne en durée de vie aussi lorsque son auteur maîtrise sa production en termes de quantité. Moins de livres, mieux aboutis, aident à valoriser la trajectoire d’un créateur auprès des médiateurs dans la durée.