“Nuit étoilée”, le chef-d’œuvre de l’année

Télérama 2020.09.15 / Marine Landrot

Une fillette solitaire laisse ses émotions enfouies prendre le gouvernail de sa vie. Alors jaillit la féerie, alors surgit un ami. Magnificence à fleur de pinceau, sensibilité à fleur de peau, un album hors du commun. À partir de 10 ans.

Quelle splendeur ! La littérature jeunesse offre déjà chaque semaine son comptant de merveilles, mais une fois par an, un album se détache du lot, et s’envole très haut. Voici donc la pépite de cette année, venue de loin (Taïwan), après un long voyage (elle date de 2009), et méritant tous les égards dus aux grandes œuvres d’art. On tombe en arrêt devant chaque page, au point d’oublier de la tourner, ensorcelé par le mystère abyssal de ce que l’image est capable de raconter à elle seule. Le papier glacé dégage une odeur délicieuse, l’épaisseur de l’ouvrage promet de riches échanges, bref, tout est fait pour que ce livre devienne une pierre dans votre édifice personnel, même si vous croyez avoir passé l’âge. Noël n’est pas encore là, alors n’attendez pas. Faites-vous ce cadeau de la plus belle eau.

Comment résumer l’intrigue ? En renonçant à le faire, car ce serait comme vouloir mettre le ciel dans son sac, ou l’océan dans sa gourde. Réduire l’immensité, de l’univers, du chagrin, de l’espoir, de la violence, du rire : mission impossible. Alors Jimmy Liao voit grand, déploie des illustrations d’une magie infinie, ivre de nos possibilités illimitées d’élargir le quotidien, même au plus profond de l’affliction.

Tout est bizarre et étincelant

L’album s’ouvre sur le déballage d’un cadeau d’anniversaire, qu’une fillette reçoit de son grand-père. Un jouet éléphant jaillit du papier sous les yeux perplexes de sa nouvelle propriétaire, mais si vous croyez que la suite va nous parler de leur amitié, vous vous trompez. L’éléphant grandit soudain démesurément, nous voilà intrigués, mais qu’est-ce que c’est que cette robe plissée qu’il porte au-dessus de ses ongles vernis, on dirait la vague d’un tsunami qui manque d’emporter sa minuscule amie ? Le pachyderme disparaît sans répondre, il passe le relais à un lézard bleu mastiquant son papillon du jour, puis à un requin nain nageant dans une soupière fumante.

Tout est bizarre et étincelant, dans la vie de cette petite fille, car c’est le voile que Jimmy Liao lui propose de jeter sur sa tristesse et sa peur de l’avenir. Chacune de ses émotions s’invite à l’image, sous des apparences aussi diverses qu’enchanteresses. La solitude lui donne des coups d’épingle, papa et maman ont trop d’appels téléphoniques à passer, grand-père et grand-mère ne sont pas éternels.

À chacun son image indélébile

Mais voilà qu’un garçon étrange croise son chemin. Il prend des bains de neige comme d’autres prennent des bains de soleil, travaille mal à l’école et perd ses affaires, tiens, son cahier de dessin est resté au sommet d’un arbre tout bleu. Ces deux enfants sont faits pour s’entendre, ils font un bout de route ensemble, surmontent des épreuves, s’évadent, se perdent et se réinventent. Tout change, tout passe, tout finit, mais tout recommence. Différemment, intensément.

Hymne aux fragments d’éternité que le présent distille au compte-gouttes, cet album est appelé à rester dans les mémoires. Pour certains, ce sera cette incroyable chambre aquarium, à déplier sur quatre pages. Pour d’autres, cette forêt d’automne symbolisant la mort d’un ancêtre. À chacun son image indélébile, saisissante de beauté.

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