Le Japon, voisin inconnu [2]

Au 19e siècle, les Occidentaux qui s’installaient dans la ville portuaire de Kobé ont fait construire des villas de style européen, dans le quartier nord à flanc de colline. Aujourd’hui, une soixantaine de villas y sont toujours debout après le violent séisme de 1995 ; l’une d’entre elles, particulièrement bien entretenue, est connue sous le nom de La maison à girouette.

Selon notre guide, cette maison fut rendue célèbre grâce à une série télé diffusée en 1977 qui racontait la vie mouvementée d’un couple mixte germano-japonais, avec les joies et les peines que connaissent toutes les unions d’êtres issus de cultures éloignées. À l’intérieur de la maison sont exposées les photos d’un négociant allemand et de sa petite fille habillée en kimono. J’étais songeur : à quoi pouvait-il penser, cet Allemand, lorsqu’il faisait construire sa maison et élevait sa fille dans ce pays à l’autre bout du monde ? Soudain, j’ai eu le sentiment que nous nous comprendrions, et que dans un sens nous appartenions à la même famille, à la même patrie. Je ne me sentais plus seul.

En fait, après vingt ans passés en Europe, il m’arrivait encore de m’interroger sur mon choix de jeunesse et de rêver à l’autre vie que je n’ai pas vécue, où Taïwan aurait été mon unique petit pays et où la France serait restée une carte postale si jolie. Mon esprit continuait de se tourmenter. Sans m’y attendre, j’ai trouvé la paix intérieure ici à Kobé.

En japonais, la girouette s’écrit en trois caractères kanji 風見鶏 qui signifient « vent-révéler-coq » ou « coq qui révèle le sens du vent ». Homme volontaire, j’ai tenté de me frayer un chemin dans ce monde et suis probablement devenu moins sensible aux forces invisibles de la vie. Mais il suffit parfois d’ouvrir ses bras pour les caresser et s’en laisser traverser. Devant le vent du grand Mystère, l’émerveillement ne laisse pas de place au regret.

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