Pour ouvrir notre nouvelle collection « Contes de Chine », nous avons choisi de présenter l’histoire de Yexian, « Cendrillon chinoise ». Partant du texte de l’auteur DUAN Chengshi qui a vécu au neuvième siècle, la plus ancienne version écrite connue du conte de Cendrillon, nous en proposons une version en langue moderne très respectueuse de l’intention de l’auteur.
Quatrième de couverture : Yexian, sensible et sage, est tourmentée par sa belle-mère et sa demi-sœur. Elle trouve son réconfort auprès d’un poisson aux yeux d’or. Mais la marâtre tue le poisson et l’enterre au pied d’un arbre.
Une Immortelle venue consoler Yexian lui révèle un secret : si l’enfant prend soin du squelette du poisson, celui-ci exaucera chacun de ses souhaits.
La magie du poisson permet à Yexian de se parer des plus beaux atours et de se rendre secrètement à une grande fête. Mais sa belle-mère s’y trouve aussi et semble la reconnaître. Dans sa fuite, Yexian perd une de ses magnifiques chaussures. Le soulier d’or, parvenu entre les mains d’un roi, conduira enfin la jeune fille à son bonheur.
Mon adaptation de ce texte chinois ancien à une lecture moderne, sans qu’en soit altéré ni l’esprit ni la sobriété, préserve la précision de la narration des événements (apparition et disparition du poisson magique, révélation de l’Immortelle, pérégrination du soulier d’or) sans ajout artificiel de descriptions sur le tempérament ou la motivation des personnages en action.
Une fois mon écriture achevée, j’ai eu le sentiment que dans son récit DUAN Chengshi avait voulu nous inviter à poser le regard sur certains aspects de l’histoire de Yexian en nous épargnant des contingences distrayantes. En fait, ce conte se prête à une lecture parabolique. Mais à quelle symbolique avons-nous affaire ? Si, par exemple, le poisson et la marâtre peuvent être compris comme des métaphores, de quoi seraient-ils le signifiant ? Et pourquoi la fin du conte chinois diffère-t-elle autant de la version que nous connaissons en France ? En apportant quelques éclairages sur ces points, je propose une lecture possible de ce conte, parmi d’autres sans doute envisageables.
Dans ce récit, le lien entre Yexian et le poisson magique, auprès duquel la jeune fille trouve du réconfort dans le malheur de la perte de ses parents et la persécution de sa belle-mère, apparaît comme une relation de dépendance basée sur le « besoin ». Yexian a besoin de trouver un équilibre affectif dans une vie qui la malmène tant, et c’est le soin qu’elle apporte à ce poisson extra-ordinaire qui le lui offre. Est-ce par méchanceté gratuite ou par jalousie que la marâtre tue le poisson et le mange ? Nous ne le savons pas. Beaucoup de suppositions sont possibles, mais toujours est-il qu’elle rompt par cet acte cruel l’équilibre fondé sur la dépendance entre la jeune fille et le poisson. Ce faisant, elle oblige Yexian à chercher d’autres horizons pour s’en sortir. La jeune fille entreprend alors un apprentissage du « désir » grâce à la révélation de l’Immortelle. À travers les souhaits qu’elle énonce en priant le squelette du poisson, elle apprend à désirer avec pertinence les objets appropriés (la robe et les souliers) et à les utiliser au moment opportun (lors de la fête). Mais écouter son désir implique aussi de se laisser porter par le courant des événements ; ainsi en est-il du périple du soulier égaré qui finira par apporter le bonheur à la porte de la jeune femme sous la forme d’un mariage somptueux avec le Roi.
Je suis d’autant plus frappé par l’évidencede cette lecture du conte que nous a transmis DUAN Chengshi que l’épilogue, qui me paraissait énigmatique auparavant, en constitue finalement une clé tant recherchée. En effet, à la fin de l’histoire, il nous est raconté comment la marâtre et sa fille vont mourir puis que pendant longtemps les membres de leur tribu vont venir prier sur leur tombe quand ils désireront la naissance d’une fille dans leur famille. On doit comprendre ainsi que la marâtre a fait quelque chose de « bien » de son vivant, sans quoi son esprit serait incapable d’exaucer le vœu des gens. Le « bien » qu’elle a fait fut d’aider Yexian à passer de l’état d’un besoin à celui du désir, et donc à avancer dans sa vie. Plus loin, DUAN Chengshi précise aussi que le squelette du poisson magique, entré en possession du Roi, cessa au bout d’un an d’exaucer ses vœux. Il me semble qu’on peut bien supposer ici qu’à la différence de Yexian, le Roi qui s’est attribué le squelette n’a pas connu l’adversité ni parfait son éducation en matière de désir. Or, lorsque la quête n’est pondérée par aucun apprentissage du désir, nul objet dans le monde ne saurait être longtemps magique.
en heureux souvenir d’une conversation avec Loïc à Blois il y a un mois
Lire aussi : L’apprentissage du désir [1/2]
Image extraite de l’album Yexian et le soulier d’or, illustré par WANG Yi.