Le poisson qui me sourit de bonheur

C’est le premier livre publié de Jimmy Liao en 1998, en même temps qu’un autre intitulé « La Forêt des songes ». Jimmy Liao est un artiste qui réfléchit en image : il a ce don poignant de traduire en une scène une émotion profonde et fugitive. Il lui arrive de rassembler plusieurs dessins ainsi créés, et les regarder, intensément. Jusqu’à ce que ces personnages dessinés acquièrent un statut, prennent vie et évoluent dans une histoire personnelle. Enfin Jimmy met ces dessins dans un certain ordre et une intrigue prend forme. « Le poisson qui me souriait » est né de ce processus singulier de l’auteur très connu et lu en Asie.

Alors que certains de ses autres livres ont été traduits en français, cette première œuvre de Jimmy Liao a pris plus de vingt ans pour trouver son chemin vers les lecteurs français, aux éditions HongFei. En deux décennies le monde a beaucoup changé, avec une prise de conscience de la fragilité de notre environnement et des « manières d’être vivant ». Dans le livre homonyme le philosophe Baptiste Morizot décrit comment lui, en imitant le hurlement des loups, entre en « dialogue » avec des individus de cette espèce sauvage. Arrive-t-on à se communiquer, entre les vivants habitant des corps et des sociétés si différents ?

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Dans le langage visuel de Jimmy Liao, la question se matérialise dans les yeux de l’homme et du poisson qui se regardent à travers la vitre d’un aquarium. La réponse est à chercher à la fin de l’histoire. Une fin qui nous libère.

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Est-ce du hasard ? Il y a plus de deux mille ans, le philosophe Zhuangzi 莊子a, lui aussi, raconté une histoire de poissons pour la même question. Un jour, son ami Huizi et lui se retrouvent sur un pont, d’où ils contemplent les poissons frétiller dans la rivière. Zhuangzi dit : « Ah ! comme ils sont heureux ! » Huizi, en bon sophiste, l’interroge : « Tu n’es pas un poisson, d’où tient-tu qu’ils sont heureux ? 

– Tu n’es pas moi, comment sais-tu si je connais ou si je ne connais pas le bonheur des poissons ?

– Admettons que je ne le sais pas. Dans ce cas, il sera clair que tu n’en sais rien des poissons non plus. » Huizi n’est pas peu fier de sa démonstration.

Zhuangzi éclate de rire : « Revenons à la source. Tu m’as demandé d’où je tiens le bonheur des poissons. Je le tiens depuis ce pont sur lequel nous sommes. »

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