Savoir attendre

« L’Attente » : ce beau texte de Maïa Brami a d’abord attendu au fond de son tiroir, avant d’atterrir au bureau des éditions HongFei ce printemps 2018. Il ne nous est pas arrivé par le hasard : une conférence au salon du livre jeunesse de Montreuil quelques mois auparavant, dans laquelle Maïa et HongFei avons tous les deux intervenus, nous a permis de découvrir la démarche l’un de l’autre. Maïa a fait le pari que HongFei comprendrait ce texte, et nous lui avons donné raison.

Comme toutes les langues probablement, il arrive qu’en français deux notions cohabitent dans un seul mot. Ainsi, to wait en anglais se dit « attendre » en français, mais to expect aussi. Dans le premier cas, on patiente, sachant qu’à la fin du printemps succèdera l’été, et que les feuilles tomberont après que le vent froid du nord aura soufflé. Les événements suivent leur cours, dont nous sommes spectateurs. Dans le deuxième cas, on s’impatiente en espérant voir arriver un événement, qui pourrait ne pas se produire. Comme la lettre d’embauche pour un poste auquel on aspire.  

Sous la plume de Maïa, l’explorateur attend que l’oiseau de paradis se révèle à lui, comme il attend voir l’été succéder au printemps. Son plan bien ficelé et bien exécuté lui donne la certitude. Or, cet oiseau n’obéit pas au désir de l’explorateur. Il n’obéit qu’au sien, lorsqu’une femelle lui fait chavirer le cœur. L’explorateur se frotte à la réalité du monde où la volonté d’un autre, aussi, compte.

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Que la volonté de l’objet de la quête soit reconnue : cette lecture me rappelle l’histoire de Turandot, princesse de Chine illustrée par Thierry Dedieu publiée aux éd. HongFei en 2013. La Princesse, d’une beauté et d’une intelligence éblouissantes, se plie à l’injonction de son père de prendre mari. Elle pose toutefois ses conditions : les prétendants qui ne réussissent pas à apporter la bonne réponse aux trois énigmes qu’elle leur adresse verront leur tête coupée. Bientôt, l’entrée de la cité impériale est ornée du sinistre spectacle de crânes sur les piques. Or, un prince inconnu et téméraire a, contre toute attente, réussi l’épreuve. Turandot, prise dans son propre piège, est plongée dans un désarroi.

Vient le coup de théâtre : le prince, soucieux de la volonté de la princesse et la voyant regretter son engagement, lui lance à son tour un défi, celui de trouver son identité avant l’aube, si elle veut rester libre. Une nuit d’intrigue voit le nom du prince lui échapper. Turandot pourrait exploiter cette faille, non seulement pour se dégager du mariage promis mais aussi lui faire assassiner. Surprise : Turandot ayant appris la qualité du prince inconnu nommé Calaf, surprend tout le monde en annonçant qu’elle l’épousera de son propre chef. La princesse n’est donc pas à prendre ; elle se donne quand elle en décide ainsi.   

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Avec un décor radicalement différent, installé dans une nature sauvage, l’attente décrite par Maïa Brami et illustrée par Clémence Pollet nous parle finalement d’un même thème émouvant : notre ardeur ne dissout pas la souveraineté de celui qui en fait l’objet. « Pour qu’un astre suive son cours, il faut qu’il le veuille. », dit André Gide dans ses Nourritures terrestres. Le monde est beau ainsi.

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