L’invité arrive
Les eaux printanières se répandent au nord et au sud de ma maison,
tandis que des nuées de mouettes passent jour après jour.
Je n’avais jamais balayé l’allée aux fleurs, faute de visiteurs.
Mon portillon de paille s’ouvre enfin pour vous accueillir aujourd’hui.
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Le marché étant loin, je ne vous ai préparé que des plats simples.
Pauvre, je n’ai en réserve qu’un reste de vin de l’an passé.
Cependant, si vous acceptez de boire avec mon voisin, je l’appellerai à travers la haie pour qu’il vienne lever une coupe avec nous.
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– Poème de Du Fu (Dynastie des Tang en Chine, 8e siècle) illustré par Sara publié aux éditions HongFei (2014)
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J’ai lu ce poème pour la première fois vers l’âge de 11 ou 12 ans. La plupart des 56 caractères qui le composent sont des mots familiers, quelques-uns le sont moins, mais tous sont très imagés. Quarante ans plus tard, les mots n’ont pas bougé, mais j’y vois maintenant des choses invisibles pour l’enfant que j’ai été.
L’hospitalité se pratique sur fond d’une quotidienneté. Jour après jour, le même décor. Cependant, l’évocation de l’eau liquide et de la saison fait pointer le changement ; les mouettes se rapprochant annoncent un mouvement.
L’allée aux fleurs, qu’on imagine luxuriante, signe la spontanéité qu’inspire le lieu. Inutile de vouloir la faire entre dans le rang comme au Jardin de Versailles.
Le portillon s’ouvre et, aussitôt, deux mondes se communiquent, sans entrave.
L’hospitalité n’est pas une réception par laquelle l’hôte se pavane en étalant les insignes de son rang social. Elle se nourrit de l’authenticité, et de l’attention au besoin et au désir de l’arrivant.
Elle donne surtout l’occasion d’une deuxième ouverture à ce qui nous entoure, signifié dans le poème par le voisin. Une ouverture qui enrichit du même coup l’hôte et l’arrivant.
Quand vous êtes-vous offert, la dernière fois, ce beau cadeau d’humanité qu’est la pratique de l’hospitalité ?
客至
舍南舍北皆春水,但見羣鷗日日來。
花徑不曾緣客掃,蓬門今始爲君開。
盤飧市遠無兼味,樽酒家貧只舊醅。
肯與鄰翁相對飲,隔籬呼取盡餘杯。
杜甫 (712-770)