Notre ami bibliothécaire David-Umberto Signoretti, spécialiste de la représentation d’enfants asiatiques dans la littérature jeunesse en France, suit le catalogue des éditions HongFei depuis le début de celles-ci en 2007. Avec une hauteur de vue exceptionnelle sur tout ce qui se crée à ce sujet dans l’Hexagone, il est fin connaisseur des processus subtiles de transition entre la version originale des ouvrages et sa traduction en France.
À l’occasion de la parution du Son du Silence (Little, Brown and Company, New York 2016) novembre 2023 aux éditions HongFei, Umberto m’a sollicité pour une explication sur la traduction de l’ouvrage de l’anglais (Etats-Unis) en français. Avec son aimable autorisation, l’interview est reproduite ici. En se rendant sur le site qu’il anime (chinedesenfants.org), le lecteur pourra lire deux autres interviews passionnantes réalisées auprès de l’autrice Katrina Goldsaito et de Pei-Yun Yu 游珮芸, traductrice pour la version en chinois de l’ouvrage publiée à Taiwan (Intermindes 星月書房, 2018).
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1 – Traduire des sons de l’anglais en français a-t-il été facile ; avez-vous fait une traduction fidèle ou plus adaptée avec des sons, onomatopées propres à la langue française ?
En termes d’écriture, un traducteur est autant un créateur de texte qu’un auteur. Seulement, au lieu d’écrire ce qu’il veut, il écrit ce qu’il a entendu de l’auteur d’origine. Dans le cas du Son du silence, j’ai bien écouté l’autrice Katrina Goldsaito (qui a transcrit ce qu’elle avait entendu dans les rues de Tokyo) avant de restituer en français, aussi fidèlement que possible, l’univers sonore de son récit. Pour ce faire, j’ai pris quelques libertés là où il m’a paru nécessaire et souhaitable, comme je fais pour tout travail de traduction dans le but de bien servir le texte d’origine. Il m’a fallu effectivement puiser dans la réserve d’onomatopées françaises pour y parvenir.
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2 – Votre langue maternelle est le chinois de Taïwan, vous traduisez de l’anglais vers le français pour évoquer des sons japonais… C’est un festival de sons dans plusieurs langues. Quel son vient-il à vous spontanément pour la traduction ?
J’ai grandi dans la sonorité du taiwanais et du chinois mandarin. La langue japonaise est aussi bien présente dans mon pays à travers les comptines et les chansons. L’anglais est ma première langue étrangère, qui reste pour moi synonyme de l’ouverture au monde. Je n’ai jamais perdu ces langues mais ça fait trente ans que je vis en France, immergé dans les sons français. La traduction du Son du silence n’est pas sans défi mais son écriture, une fois lancée, coule de source comme les pas de Yoshio qui évoluent allégrement dans les rues de la capitale nipponne.
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3 – Il y a peu, un album japonais a été traduit en français avec une onomatopée évoquant un son que les enfants ne connaissent que par l’écriture : « tchou tchou » : peu d’entre eux ont pu voir ou entendre une locomotive à vapeur ! Selon vous, les onomatopées forment-elles un langage à part, une langue à la fois écrite mais aussi visuelle ?
Dans une lecture, un lecteur quitte son monde familier pour se projeter dans l’inconnu grâce à l’imagination. Qu’il s’agisse de situations ou d’onomatopées, on trouve toujours une part d’inédit qui surprend et intrigue le lecteur dans un récit. L’astuce consiste peut-être à orienter l’imagination du lecteur dans une certaine direction à travers une série de balises posées ici et là, tel un compagnon de route jouant le rôle d’un guide discret et bienveillant.
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4 – Selon vous les sons chinois, comme le silence ont-ils autant de saveurs, de couleurs et de synonymes, le même sens ? Sont-ils plus adaptés au langage parlé, aux onomatopées, comme le japonais ?
À y réfléchir, la prose en Chine garde un lien étroit avec la poésie qui y a une très longue tradition. Dans les textes et dans les conversations, cette langue bien musicale et cadencée cohabite peu avec des onomatopées qui introduiraient une rupture en termes de rythme et d’univers de références. Les onomatopées existent en chinois ; elles sont même nombreuses mais relativement absentes dans les récits.
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5 – La version anglaise est-elle si différente de la traduction française ? Les onomatopées, entre l’anglais et le français sont-elles si différentes, au point qu’un lecteur français serait déstabilisé par ces sons anglais ?
C’est à un petit nombre de passages qu’on peut repérer quelques différences entre la traduction française et la version originale, notamment là où il n’existe pas de mot français équivalent à son homologue anglais. Ainsi, lorsque Yoshio sautille dans les flaques d’eau avec ses bottes, j’ai utilisé trois onomatopées dans le texte français (Splash !, Pof ! Pof ! et Hi hi hi !) pour exprimer l’allégresse du garçon alors que le texte anglais fait appel, à leur place, à des verbes et adjectifs hautement imagés et colorés.
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6 – Nous sommes tous confrontés à des mots propres à une langue, difficilement traduisibles. Les sons ne sont-ils pas universels ? Une onomatopée est-elle toujours traduisible ? Ou est-ce une question culturelle ?
En France on imite le chant du coq avec Cocorico, les Taiwanais le font avec d’autres sons, les Pékinois avec d’autres encore. Ces sons traduisent l’humeur propre à chaque peuple et constituent une belle diversité dans notre être au monde. En passant d’une langue à l’autre, un texte comme Le Son du silence nous invite à écouter le monde et à le dire avec nos mots.
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7 – Y a-t-il des sons que vous affectionnez dans une langue plutôt que dans une autre ? Quels sont vos préférés ?
Je vais répondre à votre question en essayant d’identifier un son ou des sons qui me touchent plus que d’autres dans les langues que je connais :
Français : nuit
Anglais : home
Chinois : 飛 (s’envoler) se prononçant fei
Taiwanais : 香 (le parfum) se prononçant pang
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