Ce que cela coûte

Cet article est issu de l’entretien réalisé avec Frédéric Marais le 16 janvier dernier, à propos de la création de l’album « Tomber 8 fois, se relever 9 » paru aux éditions HongFei en avril 2024.

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Dans la salle de séjour de l’appartement de l’auteur, une autre voix, muette mais visible, nous accompagne : celle de l’écrivain Wilfred Charles Heinz, dont Frédéric tenait à la main le livre « Ce que cela coûte » qui raconte l’histoire d’un boxeur nommé Eddie Brown. 

Ici, la boxe et l’art se rejoignent : tous les deux fascinent et, dans un cas comme dans l’autre, ce que cela coûte ne se voit pas.

Une œuvre façonnée à la perfection : c’est ce que Frédéric Marais consent à montrer au public, et rien d’autre. Dans son atelier, pas de trace d’esquisses préparatoires. Aucun dessin inachevé n’est resté dans la corbeille. Entre lui et nous, c’est un match qui se joue : il n’est pas question de repartir les mains vides, pas plus que de lui dérober quoi que ce soit.

Frédéric se documente beaucoup pour faire chaque album. Il a d’abord cherché l’inspiration dans la période du début du vingtième siècle, pas spécialement dans le sport et la boxe. Juste retrouver l’esprit qui animait cette France saisie d’une fureur de vivre d’après la grande guerre. Marie Curie faisait des découvertes en radiographie et les chirurgiens apprenaient à faire des opérations prodigieuses. La Tour Eiffel, dans sa trentaine, était encore une jeune dame de fer. Et, dans le quartier de Ménilmontant, pas bien loin de chez Frédéric aujourd’hui, vivait un certain Eugène Criqui. Celui-ci a connu une existence aussi vertigineuse que son époque. Il se trouve qu’Eugène fut champion de boxe. Soit ! Ce sera un album inspiré par le sport et la boxe et sublimé par un traitement littéraire et plastique.

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Tomber au plus bas, se hisser au plus haut : à l’ouverture de l’album, deux jambes écartées, celles d’un soldat debout devant une tranchée. L’angle de vue est à ras du sol. À la fin du récit, deux jambes écartées, celles du nouveau champion du monde, les tours de New York à ses pieds : le héros se tient maintenant plus haut que les gratte-ciels.

Ce mouvement d’élévation se double d’un jeu de couleurs, du noir de nuit au bleu marin, du bleu ciel à la couleur chair : de l’obscurité à la lumière, de la froideur à la chaleur. La progression n’a cependant rien de linéaire ou de joué d’avance. À côté des aplats de couleurs, des surfaces s’anime sous l’effet d’un pointillisme intrigant et envoûtant : les pansements du grand blessé soulignant sa frayeur intérieure, les branchages denses d’un arbre filtrant la lumière évoquant sa convalescence – et celle de tout un monde –, le tissus du peignoir porté par le héros que la vie a endurci. Ces enchevêtrés ont un nom : la résilience.

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Nul besoin d’être passionné de sport ou de boxe pour être subjugué par cet album à la fois enthousiasmant et exigeant. Dans le métier et dans la vocation que nous nous choisissons chacun, nous pouvons aspirer à la perfection et à la gloire, à condition d’être prêt à en payer le prix : nous relever plus de fois que nous ne tombons.

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