Il y a quelques jours, une lectrice-bloggeuse, Kik, s’est fait l’écho, sur son blog Les Lectures de Kik, de sa récente lecture de Mûres mûres, un titre des éd. HongFei Cultures publié en 2008.
Nous sommes heureux que cette lectrice ait apprécié ce livre qui est une très bonne découverte. Comme bloggeuse, toutefois, elle choisit de mettre l’accent sur la présentation que l’éditeur fait de la collection dans laquelle le livre est publié, à savoir la collection Cœur vaillant.
Au moment de poster sa chronique, Kik nous a courtoisement informés de cette publication en précisant : « J’espère que ma sincérité ne vous chiffonnera pas… ». Chiffonnés, non. Mais, comme éditeurs, nous jugeons important de nous donner ici le temps d’une réponse qui dépasse d’ailleurs le seul cas évoqué.
EXTRAIT de la chronique :
L’éditeur précise avant de commencer l’histoire que ce conte minuscule (je ne le trouve pas si petit!) est inspiré d’un texte classique chinois de Guo Ju-Jing (XIIIe siècle), auteur connu pour sa compilation de vingt-quatre histoires de piété filiale. J’aime cet aspect « historique ». L’initiation des jeunes lecteurs à des contes classiques. Par contre pourquoi minuscule, pourquoi une présentation édulcorée de la collection Cœur vaillant : « Collection de contes minuscules tout mignons tout tendres »
Ce n’est pas parce que l’on s’adresse à des enfants de 3-6 ans que l’on doit faire quelque chose de « mignons » et « tendres« … gnangnan on peut dire aussi ? … C’est dommage de présenter la collection ainsi. Je ne connais qu’un titre, mais pour celui que j’ai lu, je peux dire que l’histoire de Yuanyuan n’est pas ainsi.
SUITE :
Je ne connais qu’un titre, mais pour celui que j’ai lu, je peux dire que l’histoire de Yuanyuan n’est pas ainsi. […] ce n’est pas too much, dans le gnangnan édulcoré on a vu pire. De plus, il y a cette touche de morale liée au conte, lorsque le serpent décide de ne pas mordre YuanYuan car celui-ci est généreux avec sa mère et sa grand-mère, qui rend l’histoire intéressante. Les aventures de YuanYuan invite le lecteur à réfléchir sur la générosité et le partage. Ce thème classique, souvent évoqué dans la littérature pour la jeunesse est ici développé de manière originale. […]
Cette chronique est pour le moins paradoxale car elle reproche à l’éditeur de faire [extrait] ce que, par ailleurs, elle établit qu’il ne fait pas ! [suite].
Considérant que les mots « tout mignons tout tendres » s’appliquent à la caractérisation de la collection Cœur vaillant, lorsqu’on les sous-titre – et du coup explicite – par l’expression « gnangnan », cela revient à dire, que l’intention affichée de l’éditeur est de faire du « gnangnan ». Mais quand dans le même temps, on ajoute qu’on trouve dans Mûres mûres tout autre chose et qu’on est même complimenteur, que faut-il comprendre ? De deux choses l’une : soit, pour dire les choses simplement, l’éditeur ne fait pas exprès ce qu’il réussit (cherchant à faire le pire, il serait arrivé au mieux) ; soit il convient de lire autrement ce « tout mignons tout tendres ». Et c’est bien ce que nous proposons.
La langue française est une richesse commune et vivante. La précision dont elle est capable est une des qualités dont profitent ceux qui empruntent ses voies. Que ces mots « mignon » et « tendre » aient été soumis à un avilissement, c’est chose certaine. Mais est-il besoin à tous, et notamment à un éditeur, de se soumettre aux mauvais usages ? N’est-ce pas donner autorité aux mauvais usagers ou, pire, aux usagers de mauvaise foi ! Et ce serait punir deux fois les mots : d’abord galvaudés, on les disqualifierait. Autrement dit : impuissant à lutter contre les mauvais usages, on choisirait de supprimer les mots victimes de ces mauvaises manières !
Pour notre part, nous prétendons cultiver la richesse de la langue. Nous le faisons particulièrement parce que nous nous adressons aux enfants qui s’approchant de la langue, puis la fréquentant, finiront par l’apprivoiser. Ils nous arrivent souvent, à ce sujet, de penser à ceux qui, de langue étrangère, découvrent et apprennent avec appétit le vocabulaire français. Et toujours nous nous souvenons qu’un auteur ne confond pas un mot avec le sens d’un autre.
Puisqu’il ne paraît pas inutile de revenir à leur définition (Dictionnaire de l’Académie française), rappelons : « mignon : qui charme par sa délicatesse, sa petitesse » ; « tendre : qui éprouve, manifeste de l’affection, de l’amitié, de la générosité ou qui en relève ». Mignon et tendre se rapportent bien sûr aux petits héros de ces contes chinois publiés dans la collection (un panda roux dans Mûres mûres, un hérisson jaune ailleurs, un petit lapin blanc et un écureuil rouge ailleurs encore). Rien ici qui dégrade, rende idiot, prenne le parti de la facilité ! Et même, à bien y regarder, on notera que l’un des deux termes renvoie à l’Autre (charmé) quant le second renvoi à Soi (éprouvé). À nous, cela convient bien puisque nous publions dans cette collection, de courts textes qui portent comme projet principal l’apprentissage de « Ma Relation à l’Autre » (entendons, par le fait de l’identification, la relation du petit lecteur à l’autre, celui qui n’est pas lui).
En réduisant ces mots à l’avilissement auquel d’aucuns les soumettent, ne risque-t-on pas de participer à leur dévalorisation ? Pour notre part, nous plaçons avec fierté les mots « mignon » et « tendre » – et toute la valeur que nous leur reconnaissons – en exergue d’une collection de contes, dont nous annonçons qu’elle s’adresse aux plus jeunes par un effet de style (« tout mignon… ») et de vocabulaire (« contes minuscules ») choisi et assumé.
Loïc Jacob et Chun-Liang Yeh, éditeurs